Le cor est un pauvre petit orphelin.
Enfin, altier fils unique serait plus exact.
En effet, il est seul dans sa tranche générationnelle, unique exemplaire, pas de cor alto, de cor soprano ou de cor basse, excepté pour des expérimentations génétiques gratuites et sans
lendemain, comme par exemple pour ce cor contrebasse (1) :
Mais le cor, on le sait bien, a évidemment des ancêtres de haute lignée, dignes et fiers (sic) :
Ce lignage aristocratique est lourd de conséquences, car le cor ne s'est jamais tout à fait défait de cet héritage culturel. De la chasse à la guerre, il n'y a qu'un pas, de la guerre à l'héroïsme, que quelque balles : le cor est l'instrument des batailles, des héros, dans le versant noble de la chose, le genre Napoléon au pont d'Arcole et tout ça (quant aux cornistes, eux-mêmes, c'est une autre histoire, ne mélangeons pas tout).
Faites vous-même l'expérience : donnez un cor à une innocente blonde comme on en fait des dizaines, elle se transformera immédiatement en farouche et noble walkyrie qu'on n'a pas trop envie de
vexer ou de mettre en rogne :
Si à la noblesse aristocratique vous ajoutez toute l'imagerie forestière (les champignons exceptés), mélange de mystères anciens et de forces naturelles qui dépassent l'Homme, dans laquelle le
Héros Artiste trouvera le contact avec l'Inspiration et les Muses et pourra brâmer ses amours impossibles (surtout en automne), vous tenez là des ingrédients parfaits pour tout bon romantique qui
se respecte :
(R.Wagner, ouverture de Tannhaüser - bon, en vrai, c'est joué par un orchestre en entier, mais le premier thème y est en effet tenu par le cor)
(J.Brahms, 3e symphonie, 3e mvt)
Pourtant, paradoxalement - compte-tenu de tout cet affectif mythique en arrière-plan, le principe du cor est simplissime : une embouchure, un tuyau, un pavillon, et le tour est joué. Désolé si ça vous démythifie le truc, mais c'est comme ça, j'y peux rien. Cela dit, un tel rapport qualité/prix, ça force le respect.
Ainsi que nous le prouvent les cornistes de l'orchestre de Paris (tirée du site de l'orchestre de Paris), un tuyau d'arrosage et un entonnoir suffisent à constituer un cor déjà capable de rivaliser avec les meilleurs colverts.
En fait, tout est dans l'embouchure et la perce du tuyau ; c'est ce qui distingue essentiellement trombone et trompettes d'un côté, des cors de l'autre. C'est d'ailleurs à ce titre qu'on peut
considérer la famille des tubas comme des petit-cousins des cors, les embouchures et les perces étant assez proches - mais comme la perce du tuyau est tout de même différente (beaucoup plus
conique pour les tubas dans la partie débouchant sur le pavillon), c'est quand même des petits-cousins éloignés.
L'embouchure du cor est creusée à l'intérieur comme une sorte de simple cône allongé, alors que les embouchures de type trompettes forment une sorte de cloche. Qui plus est, la perce, c'est-à-dire la forme de l'intérieur du tuyau, a quelque chose de conique chez les cors (c'est-à-dire en forme de cône, rien à voir avec quoi que ce soit de con - si ce n'est les cornistes eux-mêmes, mais c'est un autre débat)), alors que c'est cylindrique chez les trombones et trompettes : ainsi, les tout premiers cors ont été des cornes d'animaux, comme celui qu'avait par exemple ce grand couillon de Roland de Roncevaux, et dont le son n'est pas sans évoquer les meilleurs avertisseurs des antiques 2CV citroën.
Différences de perce et d'embouchure font que le son des trompettes et trombones est plus percutant, incisif, perçant, quand celui du cor est large et fondu - tellement fondu que, évoquant celle au gruyère, certains compositeurs de musique de films ont tendance à rendre leur musique assez poisseuse et adhésive à force de cors.
Cela dit, une chose me chiffonne : si c'est une question de perce conique, comment ils font, les autres zigotos cités plus haut, avec leur tuyau d'arrosage qui, quasiment par définition, est parfaitement cylindrique ? Si un expert en acoustique passait par ici et pouvait m'éclairer, merci d'avance.
Comme cette simplicité contraste de manière surprenante avec la noblesse attribuée au cor, ils ont ajouté tout plein de tuyaux partout pour donner le change et être à la hauteur de la fierté
cornistique :
Ou comment on fait les pavillons (ici de trombones, mais ne chipotons pas) :
Dans la prochaine causerie, nous nous pencherons plus avant sur la théorie de comment ça fonctionne un cor, youpi, parce que j'aime autant vous dire ça vaut son pesant de cacahuètes.
(1)Ou alors, dans de subtils dérivés du cor standard, pour obtenir des facilités de jeu dans certains répertoires,
on verra ça dans le prochain billet.