Avertissement au lecteur : attention, les textes qui suivent contiennent des scènes ou des idées
pouvant heurter les esprits un peu fatigués. Désolé, ça peut pas être de la gaudriole tous les jours, non plus. Promis, juste après ça, un épisode de Djoni.
Allez, respirez un bon coup, faites deux-trois mouvements d'assouplissements, avalez une barre énergétique pleine de sucres rapides, et on
y retourne.
La
forme, c'est très très important.
Pas la «bonne santé», hein, oui c'est important aussi, certes, mais là je parle de la forme, comme «configuration», ou «architecture».
Car il ne suffit pas d'un joli système harmonique tel que je l'ai rapidement décrit, il ne suffit de fabriquer des jolies mélodies à partir de ce système, il faut encore
déterminer ce qu'on va bien pouvoir raconter, comment on va structurer le
discours musical. Tel est l'enjeu de la forme.
Le système tonal a finit par générer, au fur et à mesure des tâtonnements des compositeurs pour trouver ce qui «marche» bien, une forme très spécifique qui s'est imposé comme un
modèle caractéristique et indépassable (aux côté d'autre formes, certes couramment utilisées, mais plutôt secondaires car moins «perfectionnées», comme le menuet, le rondo, la forme ternaire de
lied), attention, j'ai nommé, tatataaaan (roulements de tambour) : la
forme sonate bien sûr !!! (dzing)*.
La forme sonate est organisée en trois parties : une
exposition, un
développement et une
réexposition.
Cette organisation ternaire A-B-A n'a rien de bien extraordinaire en soi, mais c'est la manière dont le discours est articulé au sein de ces parties qui fait la richesse et
l'équilibre de la forme sonate.
Le truc, c'est de présenter
deux thèmes dans l'
exposition.
Le premier thème est plutôt solide, charpenté, qu'on peut dire «masculin» (souvent joué par les cordes), alors que le second est plus doux, plus calme, «féminin» (et souvent joué
par les bois, comme donnant une couleur particulière. Mais bon, ça n'a rien d'obligatoire).
Ces deux thèmes ne sont pas présentés l'un à la suite de l'autre, mais sont séparés par un épisode bien particulier, qui en général est joué par l'orchestre entier, avec force,
et qu'on appelle
pont modulant.
Le terme de «pont» se comprend aisément, comme une sorte de séparateur, de lien qui nous amène d'un thème à l'autre. Le terme de «modulant» demande quant à lui explication,
d'autant qu'on en vient de nouveau au cœur de la problématique de la tonalité.
Il se trouve que, pour différencier les deux thèmes, et aussi pour faire de la forme sonate une forme dynamique et pleinement efficace, chacun des deux thèmes a sa tonalité
propre : en fait, le premier thème est dans la
tonalité principale du morceau, le deuxième est dans la tonalité (transitoire et locale par rapport à la
tonalité générale) de
la dominante.
Le pont modulant, lui, consiste donc essentiellement en une suite de moyens harmoniques ingénieux pour aller d'une tonalité à l'autre.
Par exemple, dans un mouvement (le premier, en fait) de symphonie en
ré majeur, le premier thème est en
ré majeur (pas de surprise), donc avec comme tonique
ré et comme dominante
la
(
ré-mi-fa-sol-la, 1-2-3-4-5, c'est la quinte, rappelez-vous), alors que le second thème sera en
la majeur, avec
comme tonique
la et comme dominante
mi (
la-si-do-ré-mi, 1-2-3-4-5).
Ainsi, localement, la dominante de la tonalité principale devient tonique à son tour ; mais, et c'est là la subtilité et le point capital, reste quand même dominante
globalement, vous voyez le bazar.
Or souvenez-vous, la dominante est instable et a vocation à se résoudre sur la tonique. Et bien c'est ce que réalise la forme sonate au niveau du discours même, puisque la
réexposition reprend exactement les éléments de l'exposition (premier thème - pont modulant - second thème), mais cette fois-ci, tout dans la
même tonalité principale.
Ainsi donc, l'exposition a pour vocation d
'ouvrir, dans un mouvement dynamique de la tonique vers la dominante, et la réexposition de
fermer, en résolvant la dominante laissée suspendue.
Le
développement, quant à lui, est une partie libre, qui consiste à divaguer, soit en faisant entendre des idées secondaires, soit en
reprenant les thèmes exposés mais en les variant, en particulier en faisant entendre des tonalité locales nouvelles, en passant en mineur, etc... (au départ, cette partie dite de développement
était plutôt la portion congrue de la forme sonate, comme une sorte de divertissement entre l'exposition et la réexposition. Mais au cours du temps, c'est une partie qui a pris de plus en plus
d'importance, parce qu'elle donne beaucoup de liberté pour laisser entendre tout plein de choses expressives, comme chez Beethoven, pour ne pas le nommer, le maître absolu du développement).
En résumé, la forme sonate, c'est comme effectuer un pas : l'exposition c'est la levée de la jambe, le développement c'est la tension alors qu'on est en déséquilibre (c'est aussi
pour cela que cela deviendra la partie la plus expressive), et la réexposition c'est la pose du pied par terre, quand on retrouve l'équilibre.
Allez hop, un petit schéma pourri pour le plaisir (wéééé un schéma) :
Exposition
Dévelop. Réexposition
(th. 1- pont modul.- th. 2 )
(th. 1- pont modul.- th. 2)
tonique dominante plein de trucs tonique
tonique
stable
instable instable à donf stable
stable
>> TENSION >>
>> RÉSOLUTION
Bon.
Pour les deux-trois lecteurs qui auraient résisté avec ténacité et seraient arrivés jusqu'ici, je ne peux que conseiller d'écouter quelques symphonies de Haydn et de Mozart, et
en particulier les premiers mouvements, puisque dans une symphonie classique c'est le premier mouvement qui est en forme sonate. Avec un peu de patience, en réécoutant plusieurs fois le même
mouvement, vous devriez retrouver les éléments dont je vous parle, même si peut-être, pour prendre réellement conscience de la bascule tonique-dominante, il faudrait un petit apprentissage musical
au piano autrement plus convaincant qu'un long bla-bla de blog.
Notez que ce que j'ai raconté ci-dessus ne concerne pas seulement des élitistes classiques frustrés et conservateurs, puisque, de la grille de blues de base (pour ceux à qui ça
dit quelque chose) à toute la variété pop/rock, en passant par le jazz et les musiques de film, la quasi-totalité de la musique qui nous entoure au quotidien fonctionne sur les bases de la tonalité
classique**, à peine si quelques zestes d'harmonie modale viennent y apporter quelques épices de temps à autres. Donc, respect.
Bien.
Ça, c'était les bases.
Donc, continuons.
Je vous vois pâlir d'ici.
On va maintenant se pencher sur l'évolution de la tonalité au cours du romantisme.
* Pour les super courageux, il existe un livre remarquable sur le sujet, «la forme sonate» de Charles Rosen.
** Et il en est de même rythmiquement, puisque l'organisation par mesures et les carrures par quatre des classiques se retrouvent encore dans la variété, la pop/rock et le jazz traditionnel (les
modernes en jazz ont beaucoup changé les choses, notamment par des influences étrangères, africaines ou indiennes). Et oui, qu'est-ce que vous voulez, y'a pas à tortiller, qu'on le veuille ou non,
même les Beattles, Johnny ou Brittney Spears ou qui vous voulez, ne peuvent rien contre un Haydn. Même Mohammed Ali ne peut rien contre King-kong.