Les lecteurs d'un blog aussi formidable que celui-ci sont forcément formidables (manière habile et rusée pour que tout le monde opine du chef à l'idée que ce blog est formidable, puisque sinon ce serait se déchoir soi-même du qualificatif de formidable), et un certain Eric N., ami d'un ami d'une amie (le monde de la musique est vraiment minuscule) m'a soumis ce texte, issu d'expériences d'auditeur apparemment pénibles et rapprochées dans le temps.
Il faut dire que l'heure est de plus en plus à l'action pédagogique en musique, d'une part parce que c'est le plus sûr moyen d'obtenir du flouze des collectivités (un concert, tout le monde s'en fout, une action pédagogique culturelle, haaa, tout de suite c'est autre chose), et d'autre part parce qu'on sent bien qu'il faut faire bouger le public de ses habitudes si on veut maintenir un public curieux de musiques non-formatées, et qu'en plus, dès qu'on le fait, ça fonctionne.
Hélas, si c'est parfois très réussi, ce n'est pas non plus sans dérive et sans approximations dans la manière de faire, comme nous le fait donc partager Eric :
"Contrairement au rédacteur historique de ce blog, je n'appartiens pas à la grande famille des musiciens classiques mais j'ai été invité à plusieurs concerts ces six derniers mois. La plupart du temps il s'agissait de petits spectacles, se situant dans cette nébuleuse culturelle qui va de l'amateurisme respectable au professionariat débutant, et par laquelle tous les jeunes musiciens sont contraints de commencer.
C'est à ces occasions que j'ai pu observer de plus en plus de chefs ou organisateurs de ces événements, se sentant comme obligés, entre deux œuvres, de nous régaler de leurs interminables discours, à tel point que je me suis parfois demandé si on m'avait fait venir pour écouter de la musique ou le blabla du maître de cérémonie.
J'ai donc cherché, dans la suite de cet article, à présenter les divers types d'individus sujets à cette mode, sur lesquels on risque désormais de tomber à un concert classique.
Le Comique
Le premier de ces chefs bavards, le Comique, est le plus excusable : en effet, il cherche honnêtement à distraire son public mais le fait en général avec une certaine maladresse.
Le Comique se sent gêné d'offrir à son public de la musique classique, là où notre brillante société du spectacle nous abreuve constamment de sensations et d'émotions nouvelles. Il pense que de petits interludes légers entre chaque morceau, durant lesquels il glissera une plaisanterie ou deux pour faire sourire son public, permettront de montrer que son domaine n'est pas si austère qu'il peut le sembler.
Le seul problème c'est qu'en général, ces plaisanteries faites sur un ton très convenu, s'avèrent fades, voire ringardes. Dans les classiques, on trouvera l'admiration surjouée comme « Chopin ! Ah Chopin !... », la familiarité avec l'Artiste du type «Quel malin ce Beethoven ! », ou l'inévitable comparaison approximative genre, «Mozart à l'époque c'était une vedette : un peu comme Michael Jackson aujourd'hui... ».
Ces boutades produisent souvent l'effet inverse de celui escompté. Plutôt que de rafraîchir l'atmosphère, elles confirment nos pires soupçons : les musiciens classiques en plus de jouer de la vieille musique, pratiquent un humour faisandé.
Le Prof
Le Prof, nous entraîne un pas plus loin dans ce rapport déviant que le chef bavard entretient nécessairement à son public. Le Prof pense que la Musique Classique n'est pas QUE de la Musique : c'est d'abord de la Culture !
Écouter simplement une pièce pour elle-même est impensable à ses yeux : avant que la moindre note ne soit jouée, il faut que le public comprenne toutes les implications Biographiques, Musicologiques, Historiques et Métaphysiques du Chef-d'Œuvre qu'il s'apprête à entendre.
Le Prof ne peut pas jouer avant d'avoir tout dit, expliqué comment le compositeur a perdu sa première dent de lait, comment ce morceau a radicalement changé la perception de l'Harmonie Musicale, placé au moins une citation (avec référence complète) de L'Esthétique de Kant... Pour prendre une autre analogie, j'ai parfois l'impression que le Chef-Prof est un lecteur DVD devenu fou, qui aurait décidé d'interrompre chaque scène d'un film par la diffusion intégrale des Bonus.
Peut-être le Prof ne réalise-t-il pas, combien il est facile d'ennuyer son auditoire par un bavardage mal maîtrisé, et le sien, tout investi qu'il est de sa soif d'instruire, ne l'est évidemment jamais. Néanmoins, je le soupçonne d'un sale petit désir de vengeance, consistant à reproduire sur son innocent public, la situation d'ennui qu'il a lui-même souffert face à ses Maîtres, quelques années auparavant, alors qu'il n'était qu'un simple étudiant sur les bancs d'une quelconque fac de Musicologie.
Non seulement le Prof m'empêche de savourer la musique comme je l'entends, mais surtout il me prend de haut. Il n'a pas compris que la sagesse en culture, n'est jamais synonyme d'érudition. Être sage, c'est au contraire accepter que chacun vit la culture comme il le souhaite, avec le degré de connaissance qu'il souhaite.
Enfin, par expérience, le désir le plus vif que j'ai pu avoir à la suite d'un concert, d'enrichir ma culture musicale, est toujours venu de l'écoute de l'œuvre elle-même, de la qualité de son interprétation, jamais du blabla qui l'accompagnait.
Le Bouche-Trou
Le Bouche-Trou n'est pas un type à part entière, car il est forcé d'emprunter à tous les autres : il se définit par son utilité plutôt que par son discours.
Lors d'un concert organisé par des proches, j'ai pu constater l'utilité du Bouche-Trou qui remplissait le Temps de ses Paroles pendant que le musicien s'agitait ça et là entre deux morceaux, pour changer les partitions, accorder son instrument, ajouter ou enlever des pupitres, aller aux toilettes, faire la bise à ses amis...
Je conçois l'utilité du Bouche-Trou, mais j'incite sincèrement les musiciens, à s'organiser avec plus de rigueur ou à trouver, pour gagner du temps, des astuce moins grossières et surtout moins fatigantes pour le public.
L'Orateur
Le Comique était complexé, le Prof passionné, le Bouche-Trou nécessaire mais l'Orateur est pire : son bavardage est purement désintéressé. L'Orateur ne parle pas parce qu'il le faut, mais simplement pour nourrir le rapport fusionnel qu'il entretient au Verbe !
L'Orateur ne s'intéresse pas à la Musique : il cherche uniquement à produire le plus de phrases possibles, le plus longtemps possible. Une salle de concert, pour lui, est la chance de sa vie de dire enfin à tous, ce qu'il n'a jamais pu dire à personne, sans les faire fuir.
Sa logorrhée est infinie. Elle emprunte à tous les genres ci-dessus et passée la première minute, ne veut plus rien dire : ce n'est plus qu'une soupe indigeste et déstructurée, volant sans complexe d'une idée à l'autre, sans plus se soucier de cette vague contrainte nommée cohérence. A l'instant où il a ouvert la bouche, l'Orateur a totalement oublié que le public était là pour écouter de la musique : son seul intérêt est de prolonger au maximum la prise d'otages.
Laissez-moi illustrer mon propos d'un exemple précis. Lors d'un concert, auquel je me suis récemment rendu, le programme précise qu'on va nous jouer du Mozart et le Chef-Orateur entame son Discours. Nous allons entendre un extrait de L'Enlèvement au Sérail, opéra nous précise-t-on, pour lequel le compositeur a souhaité un livret en Allemand sa langue d'origine, plutôt qu'en Italien. Et là, dans une formule lapidaire, on nous explique que Mozart cherchait à défendre l'identité allemande comme aujourd'hui le gouvernement défend l'identité française ! Je pars écouter un concert et j'apprends, en substance, que Mozart votait Sarkozy !
Si en entrant dans une salle de concert vous reconnaissez ce type d'individu, surtout, ne le laissez pas gâcher votre spectacle et fuyez immédiatement.
Finalement, pour nuancer tout ce qui précède, je dirais que les discours de transition au sein des petits concerts classiques ne sont pas totalement à bannir mais doivent être parcimonieux et faire preuve de discernement : n'oubliez jamais, messieurs les musiciens, que le public est venu pour écouter votre musique, pas vos paroles ! Place donc à la Musique... et au Silence !"