Point ne suffit à l'altiste de posséder instrument, archet et talent.
Tout altiste qui se respecte se doit d'entasser un bric-à-brac indescriptible afin de vivre pleinement sa vie d'altiste, libéré et épanoui, courant gaiement à sa répétition
d'orchestre tel une sœur Ingalls traversant les hautes herbes dans le générique de la petite maison dans la prairie (enfin, pas celle qui se casse la
gueule, quand même).
Le crayon : absolument indispensable. Ne dit-on pas, dans le milieu: «pas de crayon, pas de carrière ?».
Sans crayon, pas de doigtés écris sur la partition.
Pas de coups d'archet notés.
Tel le torero sans son épée, le chef de gare sans son sifflet, ou Claire Chazal sans son prompteur, vous vous retrouvez ridicule, impuissant, vous êtes un naze, un gros nul, une
bouse.
Autant essayer de rédiger un mail sans clavier.
Nul salut à celui qui oublie son crayon.
C'est pour cela d'ailleurs que les crayons disparaissent à intervalle régulier : une guerre larvée des crayons fait rage au sein des pupitres, qui ne veut pas dire son nom.
Si le collègue de derrière, à l'orchestre, vous demande un crayon, alors vous êtes a priori certain de ne plus jamais le revoir (le crayon, hein, pas le collègue,
malheureusement). Tout l'enjeu du fin tacticien sera alors d'en récupérer un autre innocemment à la répétition suivante, la victoire étant totale quand le crayon soutiré appartient justement à
celui qui vous l'avait subtilisé auparavant.
Note : nonobstant la subtilisation à craindre, il est fortement recommandé d'utiliser un crayon muni d'une gomme au bout.
La boîte : hé bé oui, hein. Ça paraît idiot, comme ça, mais sans boîte, l'instrument à la main, dans la rue, l'altiste a l'air con.
Oui, je sais ce que vous allez me dire.
Hé bien, ne le dites pas.
En terme de boîte, il faut croire que le génie humain s'est arrêté au pas de la porte. Vous avez le choix entre :
- les boîtes en chêne massif, d'une tonne et demi environ ;
- les boîtes en carton expansé, qu'un coup de coude inattentif suffit à trouer ;
- les espèces de modules lunaires gris ou noirs, ou de style urne funéraire, c'est selon ;
- les boîtes de luxe, tapissées en taffetas de velours satiné et agrémentées d'un chiffon de soie japonaise, avec fermetures éclairs en or fin, baromètre intégré (authentique) et
agenda électronique avec borne wifi et GPS (là je déconne. En même temps, on finira par y venir un jour ou l'autre, vous allez voir.)
La collophane : imaginez un ordinateur dernier cri, un truc de malade, un disque dur de 3000 giga-octets, un processeur tournant à 4000
giga-hertz, avec un écran géant haute-définition 58 pouces. Un monstre, une terreur.
Mais, détail subtil, voilà que vous n'avez pas le câble pour brancher la machine à l'écran.
Telle serait la situation de l'altiste sans sa collophane.
Contrairement à certains, qui collent aux femmes*, la collophane n'adhère qu'aux crins de l'archet : de cette manière, réduite à l'état de fine poudre abrasive par un tartinage
consciencieux de ce bloc de résine de chaipaquoi (un arbre) contre les crins chevalins tendus par la baguette de bois que donc, on nomme archet, elle permet que le passage desdits crins (mais qui
sont quand même plus de dix, en fait*) accroche la corde au passage lors du jeu endiablé de l'altiste dans l'acmé de son élan musical, beau comme un Dieu créant le Monde.
Sinon, ça fait pffftuit et c'est tout.
C'est comme si vous essayiez de passer un cintre sur une corde à linge : le fiasco.
Le métronome : il y a ceux qui jouent en rythme, et ceux qui ont un métronome.
En fait, tout le monde a un métronome.
Le problème du choix d'un métronome, c'est qu'invariablement il ne fait pas assez de bruit.
Autrefois, il y avait ces espèces de mastondontes pyramidaux, difficilement transportables dans le métro, à moins d'acheter un sac à dos rien que pour lui, mais qui,
reconnaissons-le, étaient un bijou de l'habileté humaine à jouer avec la gravité ; de nos jours, tous les modèles sont électroniques, tenant dans n'importe quel petit sac, voire dans la boîte
décrite plus haut, voire dans la poche, à peine plus épais qu'une calculette merdique.
Toutefois, rien à faire, le problème reste identique : quand on joue en même temps que le métronome, on l'entend plus. Je sais pas, ça doit doit faire du 1 x 0,05 watt à tout
casser, ces petits bidules.
En fait, tout seul, ça va encore ; c'est en musique de chambre que c'est difficultueux.
Et pourtant, hein, toutes seules, ces foutues bestioles avec leur BIP-BIP-BIP-BIP régulier, gggnnnnn ggnne c'est agaçant oohhh ggnne c'est agaçant ggrrmglblkmmm hggmmMMRGRGML
MAIS ARRËTE-LE TON MÉTRONOME MEEERDE !!!!!
Le pupitre : là encore, on dirait que le génie humain n'a pas osé franchir le seuil et entrer dans la maison, fier et confiant dans
l'avenir.
Alors, un pupitre, c'est comme un carte routière : le plier requiert un tour de main bien spécifique, et relève d'une technique qu'on devrait enseigner en conservatoire, m'est
avis.
Normalement, tout pupitre qui se respecte se doit d'avoir une vis pétée, ou bloquée irrémédiablement.
Il existe des pupitres très classes, avec un rebord sous le pupitre proprement dit, tapissé d'une fine moquette, afin de pouvoir y poser son crayon sans faire de bruit pendant
une répétition. Du vrai pupitre de professionnel. Mais impliable, donc définitivement intransportable.
Donc, non, non, y'a pas moyen, le commun doit se taper des pupitres merdiques, en pénitence de quoi, je vous le demande.
Du genre que les rebords où reposent les partitions ne sont pas d'équerre, ce qui fait que toute partition épaisse de plus de deux feuillets se casse invariablement la
gueule.
Du genre que la tête du pupitre, inopinément, bascule vers l'avant, comme ça, juste pour faire chier.
Du genre que la tige coulissante normalement bloquée par une vis (celle qui n'est pas pétée), de manière totalement impromptue, se met à, justement, coulisser, entraînant
soudainement le rapetissement du pupitre de moitié, vous laissant face au vide, dans un instant de grande solitude et de rage (difficilement) contenue.
Les cordes : ça c'est, du spécial pour les passionnés de mécanique*** :
«Et tu mets quoi, toi ?
- Boah, Spiroccore sur do, sol et ré, et Larsen sur le la.
- Ha ouais. Moi je préfère Jargar pour le la. Et t'as essayé les Olives?
- Ouaiis, arrête, c'est hyper cher les Olives. Et dire que les bonnes vieilles Dominantes, ça
reste très bien, et ça tient longtemps il paraît...
- Haa, du bon vieux matos, ça...»
Les partitions : alors là c'est très simple.
C'est cher, et c'est nul, sauf les éditions Barenreiter qui sont chères, mais bien.
Vous savez ça, vous savez tout ce qu'il faut savoir sur les partitions.
*Non, non, celui-ci n'est pas estampillé arbobo.
C'est de moi.
Et alors ? Mmmh ? Un problème ?
**Ça fuse, hein ?
Fusain ?
OK, j'arrête.
***Bon en fait, c'est très important le type de cordes, pour la sensation d'archet et pour les différences de sons que cela apporte, mais bon, là, je fait dans l'«ustensile», donc...