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La joie des concours

Haaa, la belle vie de musicien, n'est-ce pas, la vie de bohème, par monts et par vauxle-troubadour.jpg, à distribuer du bonheur aux gens, à apporter l'Amour et la Joie dans les foyers, à errer de-ci, de-là, sur les chemins de campagne entourés d'herbes folles, se nourrissant des fruits de Dame Nature, et buvant directement aux sources d'eau fraîche, gai baladin et hardi saltimbanque, simple jouisseur et innocent ingénu profitant de la vie, youkaïdi, youkaïda...


Sauf que ouais bon.

Il y a au moins une exception. Une petite ombre au tableau idyllique. Un écueil. Un léger défaut. Un vice caché.


Les concours.


Oui, sans ce minuscule détail, la vie de musicien serait une agréable, tranquille et sereine promenade, un brin d'herbe au coin des lèvres et les pieds en éventail.

Mais, voilà, il y a ces concours.

Je dirais, même, si vous me permettez, ces putains d'enculé de saperlipopette de face de thon de concours de sa race de sa grand'mère.


Oui, parce que vous tous qui me lisez, vous avez forcément passé un bac, un examen, un oral, un exposé, quelque chose dans ce goût-là, voire même seulement d'avoir à prendre la parole en public pour un truc sérieux (pour raconter une blague de toto, ça compte pas - n'insistez pas).

Bon, vous vous souvenez, hein ? Pas bien, hein ? Pas d'exquis souvenirs, n'est-il-pas ? Un petit frisson de dégoût vous parcours à cette évocation, de là à là, non ? Sauf que dans ces cas-là, vous êtiez surtout jugés sur des compétences qui vous sont extérieures, ce qui, sachez-le, amoindri quelque peu le truc. Si.

Parce que quand vous vous pointez avec votre instrument devant le jury, vous êtes littéralement à poil, face à la jungle hostile, seulement muni de votre bite et votre couteau (c'est une image. Hardie, certes, mais parlante).

Parce ce que ce qui va être jugé, c'est pas seulement l'arrondi du petit doigt droit, ou la position du poignet gauche, mais aussi et surtout votre musique, votre son, votre manière de bouger, ce que vous rayonnez, VOUS, quoi. Alors, mes enfants, j'aime autant vous dire qu'il faut se pousser drôlement au cul pour arriver à entrer dans la salle de son plein gré.

D'autant plus que le concerto, ou la sonate, là, vous avez passé des heuuuuuures dessus, à la jouer en boucle, et lentement, et par cœur, et avec piano, et mesure par mesure, pour la justesse, pour le phrasé, pour le son, pour les enchaînements, et tout ça tout ça...

Des heures. Et là, dès la première minute, c'est pratiquement déjà plié.


Vous auriez pas la pression, dans ces conditions, vous ?

Si, vous auriez la pression, cherchez pas, tout le monde a la pression.

J'en connais, que je croyais solides comme un chêne, qui en ont chialé, finalement. J'en connais qui se bousillent. Ou qui arrêtent, au bout d'un moment.


Alors, il y a les exceptions, évidemment : d'une part, les types totalement insensibles, qui prennent l'instrument, et chbraam, vous enfile les pires trucs injouables sans bouger un sourcil : la plupart du temps, s'ils peuvent être ainsi, c'est qu'il n'y a en fait pas d'enjeu pour eux, c'est-à-dire que la musique ne les concerne pas, au fond ; très souvent, s'ils ne s'enterrent pas dans un poste planqué sans plus jamais faire d'étincelles par la suite, ils font autre chose, au bout d'un moment, tout simplement.

D'autre part, il y a les cas, les doués, les êtres venus d'ailleurs, mi-hommes mi-musiciens, qui transcendent tous les pronostics et font du premier coup et naturellement ce que vous tentez vainement de faire depuis tant d'années... Alors, ceux-là, c'est pas qu'ils n'ont pas la trouille, mais plutôt que c'est ça qui les fait avancer, c'est ça qu'ils aiment, au fond, dans le plus pure style de la névrose tordue de chez tordue (chacun son truc). Du coup, quoi qu'il arrive, ils vous sortent les trucs les plus incroyables les doigts dans le nez, qu'il neige, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il y ait des danseuses du lido qui tortillent, ou des CRS en train de charger, ou des canards qui jouent au tennis, n'importe quoi : ils assurent.


Et puis, il y a le tout venant, la masse plébéienne, le cheptel des musiciens de base, quoi.


Prenons un cas concret, le top dans le concours qui vous grignote vicieusement le fondement : le concours d'orchestre.

Le concours d'orchestre est une des inventions humaines les plus délicieusement perverses qui soit. Je ne suis pas certain que les supplices chinois de l'époque Ming soient à la hauteur. Je suis même surpris que le KGB ou la CIA n'ait jamais pensé au concours d'orchestre pour faire avouer les agents doubles.

D'abord, qui dit concours d'orchestre, dit traits d'orchestre. Le trait d'orchestre est une torture d'un raffinement subtil, et dont la perfidie ne se révèle que progressivement.

En effet, un trait d'orchestre paraît anodin à première vue : il s'agit d'un extrait, parfois très court (ça peut être deux trois lignes - ce sont les pires), d'une partie d'orchestre de votre instrument. Par exemple, telle symphonie de bidule, vous prenez la deuxième page de la partie que joue les altos, vous demandez de jouer de la ligne tant à la ligne tant, et paf, ça fait un trait d'orchestre.

Évidemment, vous vous imaginez bien que ces traits ne sont pas totalement choisis au hasard, mais diable-5-flou.jpgsoigneusement sélectionnés avec amour, comme les torréfacteurs de la pub qui font passer délicatement dans leur doigts les grains de café en faisant un signe de tête satisfait à l'indigène colombien(1).


Or, imaginez deux secondes le truc : jouer tout seul une symphonie, c'est très très bête. Et travailler deux lignes, qui n'ont aucun intérêt en soi, séparées du contexte (puisque prévues pour participer à un ensemble), chez soi, pendant des heures, c'est très très bête aussi.

Et c'est le début de l'enfer. À force, les deux lignes, elles vous obsèdent, elles rôdent, vous hyptonisent, vous envoûtent, vous maraboutent. Au bout d'un moment, vous avez même l'impression de plus savoir aligner deux notes. Une spirale démoniaque.

Et pensez bien, il faudra les jouer tout seul debout face au jury, au final. Cauchemar.


Une semaine avant le concours, vous vous demandez si vous auriez pas du choisir électricité, finalement.

Deux jours avant, vous cherchez désespérément toutes les raisons imaginables qui pourraient justifier de pas y aller ("j'ai pas un peu mal à l'épaule, là, quand même ? Et puis bon, Machin c'est pas si terrible, comme ville, hein...").

La veille, vous êtes au bord de vous exiler au Laos, au Chili, au Togo, peu importe.

Le matin, il vous semble déglutir votre dernière bouchée de Nutella, et votre dernier verre de thé.

Ce qui se passe après, c'est un peu comme pour les comas éthyliques, c'est jamais très clair.


En plus, un concours d'orchestre, c'est en plusieurs tours : après chacun d'eux, soit vous êtes éjecté, soit hop, tout de suite, vous enchaînez, avec un autre programme, pour repasser devant le jury -  genre le maillon faible, voyez.

Il peut y avoir quatre tours, comme ça.


Et vous savez quoi ? Le truc qui fout bien les boules ?


Un concours sur deux, ils ne prennent personne.





(1) Ça donne, par exemple, les premières lignes de l'ouverture des Noces de Figaro de Mozart, ou les quatre dernières pages de Daphnis et Chloé de Ravel, ou la première de Don Juan de Strauss, ou le thème de la Pie Voleuse de Rossini, etc...

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D
>lagorce ; merci beaucoup ! :o)
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L
Bonjour.C'est très juste et bien écrit... Rien à dire. La description des "familles" de musiciens est parfaite, bavo ! S cello.
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B
"Are you ready to join us in our search for the Holy Graal ?""No, thank you. We already got one. A very nice one."(citation de mémoire)Ca et  : "Faites chier la vache !" (in french in the VO) - inoubliable.Le concours, dans toutes sortes de disciplines, est une tradition française (et républicaine) mais aussi chinoise (et impériale). Ca et l'administration, on pourrait bavarder longtemps ...
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L
> Anna : bien sûr, c'est un des films cultes chez moi ! Tu as raison, il y a des références à ça également dans K. !> Djac : :oD
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D
>Lorraine : excellent ! Je ne m'en souvenais plus du tout ! :oD<br /> <br /> >Cactus : hou ! ;o)<br /> <br /> >Bra : punaise... Bon, ben profite bien de ce que tu as acquis, alors ! ;o)<br /> <br /> >Anna : ha ça, sûr qu'Astier connaît ça sur le bout des doigts ! :o)
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