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Noam Chomsky - la fabrique du consentement

    Une fois n'est pas coutume, je vais me frotter dangereusement au frisson de l'illégalité ; en effet, strictement parlant, je n'ai pas le droit de publier le texte ci-dessous, vu que c'est un texte tiré du Monde Diplomatique (Encore eux ? Ben oui).
    Mais là, j'avoue que je résiste pas, l'envie est trop forte ; d'autre part, s'agissant d'un défenseur acharnée de la liberté d'expression, je pense que ce n'est pas si grave, d'autant plus quand il est question de quelqu'un qui dénonce la fabrication d'une pensée dominante omniprésente : du coup, je vois la publication de ce texte plutôt comme d'utilité publique... Et en plus, j'arrête pas de faire de la pub gratos pour le Monde Diplo, donc, hein, bon (1).

    Il s'agit d'un extrait de l'entretien de Noam Chomsky accordé à Daniel Mermet et publié, donc, vous l'avez compris, dans le Monde Diplomatique.
    Noam Chomsky est un Intellectuel, un vrai, et pas une demi-portion: "Selon l’Arts and Humanities Citation Index (un index de citations dépouillant la documentation sur les arts et les sciences humaines), entre 1980 et 1992, Chomsky a été cité comme source plus souvent que n'importe quel enseignant vivant et était la huitième source la plus citée en général.", "Chomsky fut reconnu plus grand intellectuel vivant par le sondage 2005 sur les grands intellectuels mondiaux, publié par le magazine britannique Prospect.". Je passe sur le nombre de médailles, titre, prix qu'il a pu recevoir. C'est pas forcément ça qui prouve quoi que ce soit, d'ailleurs, mais bon, ça situe.
    Bref, c'est un nom qui, en France, est bien moins connu que ceux de Finkelkraut, Adler, Val, et compagnie, alors même que ça n'a pas grand'chose à voir en termes de puissance de pensée...

    Et voilà ce que Chomsky dégaine, et ça fait mouche, enfin en tout cas moi ça me parle :

    «(...) Quand des journalistes sont mis en cause, ils répondent aussitôt : «Nul n'a fait pression sur moi, j'écris ce que je veux.» C'est vrai. Seulement, s'ils prennent des positions contraires à la norme dominante, ils n'écriraient plus leurs éditoriaux. La règle n'est pas absolue, bien sûr ; il m'arrive moi-même d'être publié dans la presse américaine, les États-Unis ne sont pas un pays totalitaire non plus. Mais quiconque ne satisfait pas certaines exigences minimales n'a aucune chance d'être pressenti pour accéder au rang de commentateur ayant pignon sur rue.

    C'est d'ailleurs l'une des grandes différences entre le système de propagande d'un État totalitaire et la manière de procéder dans des sociétés démocratiques. En exagérant un peu, dans les pays totalitaires, l'État décide de la ligne à suivre et chacun doit ensuite s'y conformer. Les sociétés démocratiques opèrent autrement. La «ligne» n'est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. On procède, en quelque sorte, au «lavage de cerveau en liberté». Et même les débats «passionnés» dans les grands médias se situent dans le cadre des paramètres implicites consentis, lesquels tiennent en lisière nombre de points de vue contraires.

    Le système de contrôle des sociétés démocratiques est fort efficace; il instille la ligne directrice comme l'air qu'on respire. On ne s'en aperçoit pas, et on s'imagine parfois être en présence d'un débat particulièrement vigoureux. Au fond, c'est infiniment plus performant que les systèmes totalitaires.

    Prenons, par exemple, le cas de l'Allemagne au début des années 1930. On a eu tendance à l'oublier, mais c'était alors le pays le plus avancé d'Europe, à la pointe en matière d'art, de sciences, de techniques, de littérature, de philosophie. Puis, en très peu de temps, un retournement complet est intervenu, et l'Allemagne est devenue l'État le plus meurtrier, le plus barbare de l'histoire humaine.

    Tout cela s'est accompli en instillant de la peur : celle des bolcheviks, des Juifs, des Américains, des Tziganes, bref, de tous ceux qui, selon les nazis, menaçaient le cœur de la civilisation européenne, c'est-à-dire les «héritiers directs de la civilisation grecque». En tout cas, c'est ce qu'écrivait le philosophe Martin Heidegger en 1935. Or la plupart des médias allemands qui ont bombardé la population avec des messages de ce genre ont repris les techniques de marketing mises au point... par des publicitaires américains.

    N'oublions pas comment s'impose une idéologie. Pour dominer, la violence ne suffit pas, il faut une justification d'une autre nature. Ainsi, lorsqu'une personne exerce son pouvoir sur une autre - que ce soit un dictateur, un colon, un bureaucrate, un mari ou un patron -, elle a besoin d'une idéologie justificatrice, toujours la même : cette domination est faite «pour le bien» du dominé. En d'autres termes, le pouvoir se présente toujours comme altruiste, désintéressé, généreux.

(...)

    En matière de propagande, si d'une certaine manière rien n'a changé depuis Athènes, il y a quand même eu aussi des perfectionnements. Les instruments se sont beaucoup affinés, en particulier et paradoxalement dans les pays les plus libres du monde : le Royaume-Uni et les États-Unis. C'est là, et pas ailleurs, que l'industrie moderne des relations publiques, autant dire la fabrique de l'opinion, ou la propagande, est née dans les années 1920.

    Ces deux pays ont en effet progressé en matière de droits démocratiques (vote des femmes, liberté d'expression, etc...) à tel point que l'aspiration à la liberté ne pouvait plus être contenue par la seule violence d'État. On s'est donc tourné vers les technologies de la «fabrique du consentement». L'industrie des relations publiques produit, au sens propres du terme, du consentement, de l'acceptation, de la soumission. Elle contrôle les idées, les pensées, les esprits. Par rapport au totalitarisme, c'est un grand progrès : il est beaucoup plus agréable de subir une publicité que de se retrouver dans une salle de torture."


    Ça vous parait exagéré ? Ça vous parait un  peu gros ? Ça vous parait fumeux ?
    Alors, hop hop hop, on visionne cette vidéo.


Site du Monde Diplomatique
Site officiel de Noam Chomsky


(1) Cela dit, si ça pose vraiment problème à qui que ce soit, je retire cet article sans aucun problème. Article entier disponible actuellement sur le numéro d'août du Monde Diplomatique, bientôt en ligne sur le site.
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A
Pour completer cette article sur Chomsky, Mermet et le Diplo, et pour "payer" votre droit de liberté d'expression je vous proposerais de faire de la pub pour le film "Chomsky et compagnie", la transcription du diplo vient de ce film, avec bien d'autre participant comme par exemple, Normand Baillargeon.<br /> http://www.lesmutins.org/<br />  
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H
Il faut se rendre à l'évidence : on est tous des consenteurs ! Qu'on le veuille ou non, la pub, mais aussi les discours politiques, tout ce qui est communication nous influence.Pour ce qui est de l'organisation de la manipulation à grande échelle, je me souviens d'un film, Des Hommes d'Influence je crois, où un spécialiste de ces questions incarné par Dustin Hoffman tente de manipuler l'opininon en jouant sur les medias. Le film n'est pas un chef d'oeuvre, mais on ne peux pas s'empecher de penser que cela se passe réellement comme ça !
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D
>Kinishao : oui, et il ne s'embarrasse pas de détour ou de finasseries, il fonce cash, et démonte le système en mots simples mais clairs et sous-tendus par une grand intelligence !<br /> <br /> >arbobo : passionnant, oui !<br /> Parce que derrière ces histoires de consentement, ou d'un autre mot que je trouve pas là tout de suite et qui dirait "consentement sans en avoir conscience" (qui me semble le plus répandu, spécialement dans les comportements de consommation de masse), se cache toute la possibilité ou non de faire réagir au système actuel, et comment s'y prendre efficacement pour montrer la chose !<br /> Faut-il montrer du doigt ceux qui consentent, ou ceux qui font consentir ? Comment ne pas mélanger les choses, entre catégories et individus ? etc...<br /> :o)
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A
djac "La difficulté pour celui qui consent, face à une stratégie réfléchie pour cela, c'est de s'apercevoir qu'il y a stratégie, et qu'il y a consentement."là y'a un souci de terminologie, le consentement sans savoir qu'on consent, il y a contradiction dans les termes. Mais je vois l'idée, effectivement difficile à résumer en une phrase sans raccourci, et ce n'est pas le lieu.Mais ça me fait penser à Nicole-Claude Mathieu, dont le texte magnifique "quand céder n'est pas consentir" porte là-dessus. elle part d'un texte de Maurcie Godelier qui parle  de personnes qui consentent à leur domination voire s'en rendent complice. En résumé, NCM oppose notamment cette vérité de bon sens : comment pourrait-on consentir à une domination si l'on n'a pas conscience d'être dominé?Il y a sans doute des 2 dans nos sociétés, des situations où l'on exprime explicitement son accord, mais aussi d'autres plus subtiles où l'existence d'une domination est précisément débattue et contestée.débat passionnant :-)
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K
C'est une idée qu'il développe depuis longtemps déjà : il dit la même chose dans "Comprendre le pouvoir", qui est une compilation de plusieurs conférences qu'il a données au début des années 90 aux USA.La pensée de cet homme est extrêmement fine et il touche souvent  à le point sensible et central des sujets qu'il traite. Toujours très substantiel et perspicace.Merci d'avoir publié cet article en tous cas !
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